Poesies enfant

Au général Tsao-pa




Le général Tsao-pa compte l’empereur Vou-ti parmi ses ancêtres,
S’il est rentré dans la classe du peuple, il n’en est pas moins d’illustre maison ;
Et si les exploits de ses aïeux sont déjà d’un autre siècle,
La renommée qu’ils ont acquise ne saurait périr.

Il étudia d’abord l’art de tracer les caractères d’après les maîtres les plus célèbres,
Mais il se désolait de ne pouvoir surpasser le fameux Ouang-yeou .
Absorbé plus tard dans l’art de peindre, il ne sut pas même si la vieillesse approchait.
A ses yeux, les honneurs et les richesses ne furent jamais que des nuages passagers.

Durant la période kaï-youan, le Fils du Ciel voulut souvent le voir,
Et les portes du palais s’ouvrirent plus d’une fois devant lui.
Les portraits des Serviteurs méritants conservaient à peine un reste de couleur ;
Le général, abaissant son pinceau, leur ouvrit un visage plein de vie.

De grands ministres se montrèrent de nouveau dans tout l’éclat de leur brillant costume ;
Des chefs terribles reparurent, la ceinture ornée de la grande flèche d’honneur.
Quand le peintre eut retouché la barbe et les cheveux de ces guerriers illustres, il sembla qu’ils eussent retrouvé le mouvement ;
Ils avaient repris cet air martial que leur donnait jadis l’ivresse du combat.

L’empereur avait un cheval favori que l’on nommait Yu-hoa ;
Des artistes sans nombre accoururent pour le peindre : aucun d’entre eux ne sut le peindre ressemblant.
Alors Tsao-pa fut appelé au bas de l’estrade rouge,
Et, dans le même moment, il y eut comme un ouragan qui s’avançait aussi.

C’était Yu-hoa qu’on amenait. Le général se plaça devant une toile blanche.
Il se recueillit profondément dans une attention silencieuse ; un grand travail s’opérait dans sa pensée ;
Puis, tout à coup, au milieu des neuf enceintes, on vit surgir un véritable dragon ;
D’une seule fois, d’un seul jet, l’artiste avait fait évanouir dans le vide tous les chevaux vulgaires de ses innombrables prédécesseurs.

Deux êtres semblables se trouvaient dès lors en présence,
De telle sorte qu’on n’aurait su dire de quel côté se tenait le véritable Yu-hoa.
L’empereur, joyeux et souriant, pressait ses officiers d’apporter de l’or ;
Les écuyers et les intendants des écuries demeuraient confondus d’admiration.

Tsao-pa a fait un élève, il a formé le peintre Oey-kan,
Qui, lui aussi, excelle à peindre, dans le genre où son maître s’est illustré ;
Mais Oey-kan, qui rend la forme, est impuissant à transmettre la vie ;
Le souffle manque, le sang se fige, dans le corps de ses plus beaux chevaux.

Tsao-pa est un grand artiste ; Tsao-pa est donc un homme de génie.
Autrefois, les plus éminents personnages ont voulu tenir leur portrait de son merveilleux pinceau ;
Maintenant, on peut le voir errant au milieu des boucliers et des lances,
Retraçant parfois les traits du voyageur obscur qu’il a rencontré sur son chemin.

Il tombe d’épuisement, au terme de sa longue carrière,
Et peut-être, dans le monde entier, n’est-il personne d’aussi pauvre que lui ;
Mais si l’on considère quel a été, depuis l’Antiquité, le sort de tous les hommes illustres,
On verra combien d’entre eux l’adversité et la misère n’ont cessé d’enlacer jusqu’à leur dernier jour.





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