Seigneur, je suis très fatigué Je suis né fatigué. Et j'ai beaucoup marché depuis le chant du coq Et le morne est bien haut qui mène à leur école. Seigneur, je vous en prie, que je n'y aille plus! Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches Quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois Où glissent les esprits que l'aube vient chasser. Je veux aller pieds nus par les rouges sentiers Que cuisent les flammes de midi, Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers², Je veux me réveiller Lorsque là-bas mugit la sirène des blancs Et que l'Usine Sur l'océan des cannes Comme un bateau ancrée Vomit dans la campagne son équipage nègre... Seigneur, je ne veux plus aller à leur école, Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus. Ils racontent qu'il faut qu'un petit nègre y aille Pour qu'il devienne pareil Aux messieurs comme il faut. Mais moi je ne veux pas Devenir comme ils disent, Un monsieur de la ville, Un monsieur comme il faut. Je préfère flâner le long des sucreries Où sont les sacs repus³ Que gonfle un sucre brun autant qu ma peau brune. Je préfère, vers l'heure où la lune amoureuse Parle bas à l'oreille des cocotiers* penchés, Ecouter ce que dit dans la nuit. La voix cassée d'un vieux qui raconte en fumant Les histoires de Zamba et de compère Lapin, Et bien d'autres choses encore Qui ne sont pas dans les livres. Les nègres, vous le savez, n'ont que trop travaillé. Pourquoi faut-il, de plus, apprendre dans des livres Qui nous parlent de choses qui ne sont pas d'ici? Et puis elle est vraiment trop triste, leur école, Triste comme Ces messieurs de la ville, Ces messieurs comme il faut Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune,Qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds, Qui ne savent plus conter les contes aux veillées. Seigneur, je ne veux plus aller à leur école!
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